Hymne à la mort du jour

La nuit se réveille et moi je m’endors
Je me recrée
Je me réinvente
Maintenant il est inutile de fuir
Je ne peux plus disparaître
Je ne veux plus disparaître
Je compte les minutes sur mes doigts
C’est un jeu d’enfant
C’est l’effondrement d’une seconde

Parce que moi je rêve je suis tout
Mes bras sont tissés en toile d’araignée
Mes yeux sont des planètes inconnues
C’est un monde où il est interdit de s’aventurer
Je suis un endroit maudit
Je respire tout l’air du monde
Mes poumons se gonflent
Et deviennent plus grands que toutes les galaxies
Mon ventre explose
Et un océan s’en libère
Je me noie dans mon torrent
Je bois toute l’eau de la terre pour me libérer

Depuis longtemps je vis dans mon placard
C’est mon palais mon royaume
C’est l’univers en entier qui s’y trouve
Il y a un cadavre dans mon placard
Il me tient compagnie en silence
Je ferme les yeux

Parce que moi j’imagine
Je vis les pieds sur terre
Et la tête dans les nuages
Les lignes de ma main sont un labyrinthe
Dans lequel je me perds
Le moindre bruit est une offense au silence
Mes mots font beaucoup de bruit pour rien
Mes mots fracassent les murs du vide
Chaque jour je brise un miroir
Ainsi je tue la laideur
Je libère les oiseaux du paradis
Le sort en est jeté
Je suis un musée
Où la plus belle œuvre est une boîte de conserve
Je déambule en moi-même
Je suis un tableau abstrait
Je suis une tempête immobile
Mon empire est plus vaste que tous les continents
Mais il entre dans ma main
Je le mets dans mes poches
Je le modèle à mon image

Comme Narcisse
Je regarde mon reflet dans l’eau
J’échappe mon regard
J’échappe tout mon être dans cette rivière
C’est mon lit
Mon lit traverse la ville
Et la ville traverse ma tête

Je vis entre chien et loup
Je suis le cerveau de la nuit
Je dirige les étoiles comme un tyran
Le crépuscule me craint
Le clair de lune envahit mon territoire
Je suis aveugle aux bruits et sourd aux images
Pourtant le murmure du souvenir remplit mes oreilles
Parce que moi j’y crois
Je fuis le chaos de ma mémoire

Où as-tu dormi la nuit dernière?
Dans le jardin de mes yeux
Où chaque fleur fleurit en explosion
Comme une bombe atomique
C’est la destruction du regard
Les larmes versées n’existent qu’en rêve
Les lettres de ton nom sont un hymne à la mort du jour
Mes pensées sont un puits sans fond
L’horizon est en flammes
Je continue mon voyage

Au matin je serai de retour

Ce poème est le gagnant du Prix mensuel VOICES/VOIX de novembre. Voici ce que notre éditeurice Laura Doyle Péan en a pensé : 

Le poème « Hymne à la mort du jour » de Paul Corneillier tient dans une idée puissante parce que simple : « Parce que moi je rêve je suis tout ». 

Je dis souvent que la poésie est un champ de possible. Ici, Cornellier nous montre qu'il en est de même avec les rêves, « le jardin de mes yeux / Où chaque fleur fleurit en explosion ». Son poème est un voyage au cœur de ce jardin, où se succèdent images fortes (« Chaque jour je brise un miroir / Ainsi je tue la laideur ») et moments de profonde philosophie. Le tout nous rappelle que rêverie et réalisme peuvent très bien aller de pair : « Parce que moi j’imagine / Je vis les pieds sur terre / Et la tête dans les nuages ». Une réponse rafraîchissante à celleux qui regardent de haut les rêves des adolescent·e·s.

Paul Corneillier

Paul Corneillier

Année: 3e secondaire / 9e année
École Secondaire Thérèse-Martin
Joliette, QC

« J'ai raconté une histoire se déroulant la nuit. Qui n'aime pas la nuit ? Moi, c'est ce qui m'inspire le plus. La plupart de mes textes, je les ai écrits la nuit. »

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